Les langues anciennes ne sont connues que par l’écriture. Il n’y a pas d’enregistrement audio à l’époque. Or l’écriture ne permet pas, à elle seule, de connnaître la prononciation d’une langue.
Prenons l’exemple du français : imaginez quelqu’un qui n’ait jamais entendu parler français et qui découvre cette langue uniquement par l’écriture. Comment cette personne pourrait-elle prononcer le français « correctement » ?
Et d’ailleurs, y a t’il une prononciation « correcte »  du français ? La prononciation est très différente selon que l’on est suisse, belge, québécois, marseillais… Vous et moi avons des prononciations différentes du français. Ainsi, une même écriture, une même orthographe autorisent des prononciations différentes. 
C’est la même chose dans l’Antiquité. Il existait des prononciations différentes en fonction des époques et des régions. C’est le cas de toutes les langues anciennes, y compris le latin et le grec, et ce serait s’illusionner que de croire le contraire. 
Les fautes d’orthographe peuvent nous renseigner sur des confusions (par exemple entre upsilon et iota en grec, entre ayin et aleph en hébreu) mais cela ne nous dit rien de la prononciation réelle de ces phonèmes, ni même de l’étendue de ces confusions dans le temps et l’espace. 
Vous supposez par exemple que la lettre bet devenue fricative était prononcée comme un v français et non comme un w anglais. Pourtant, le mot *KBKB « astre » s’écrit *KWKB en hébreu. Faut-il en conclure que le bet fricatif se prononce comme un w anglais ? Ou que le waw se prononce comme un v français ?
Je pourrais multiplier les exemples, y compris en latin et en grec ; vous évoquez par exemple la prononciation du phi comme un p aspiré, c’est là encore une considération phonémique et non phonétique. L’épigraphie et la papyrologie nous montrent que la prononciation de cette lettre variait considérablement selon les lieux et les époques.
Un dernier mot sur le shewa : vous estimez préférable de bien distinguer shewa mobile et shewa quiescent. Or, si les massorètes avaient distingué les deux, ils auraient pu créer deux sigles différents (par exemple deux points verticaux pour l’un et trois pour l’autre). Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? N’est-ce pas justement un indice que, pour eux, les deux se prononçaient de la même façon, nonobstant leur origine différente ?
Comme souvent pour les sciences de l’Antiquité, la documentation et les données à notre disposition nous invitent à la prudence et à l’humilité. 
Bien cordialement et au plaisir de vous revoir !
Michael 
On Mon, Jun 9, 2025 at 10:57

Bonjour
Michael

J’ai
suivi au second semestre de cette année avec beaucoup d’intérêt et de plaisir
votre cours d’hébreu avancé, et je navigue depuis quelque temps sur votre site
internet ainsi que sur votre chaîne YouTube.

J’ai
été surpris de lire dans une réponse à une question posée que « la
prononciation des langues anciennes est inconnue — que ce soit le latin, le
grec, l'hébreu, l'arabe etc. » (16 fév. 2021). Vous reprenez plusieurs fois
cette idée (15 mai 2019, 14 juillet 2021), et vous justifiez ainsi
l’utilisation de la prononciation de l’hébreu moderne dans l’enseignement de
l’hébreu biblique (c’est devenu d’ailleurs un usage général chez tous vos
collègues).

Vous
me permettrez d’exprimer quelques réserves à ce sujet.

En
ce qui concerne le grec ancien et le latin, leur prononciation dans l’Antiquité
est aujourd’hui assez bien établie. Les deux ouvrages fondamentaux à ce sujet
sont ceux que W. Sidney Allen a publiés à Cambridge, Vox Graeca (1968)
et Vox Latina (2e édition 1978). Je peux si vous le souhaitez
vous les envoyer en pdf.

Pour
des raisons pédagogiques, la prononciation scolaire de ces langues est marquée
par quelques compromis: ainsi, nous faisons entendre le m final de
l’accusatif latin qui n’était pas prononcé à l’époque. En grec, nous rendons la
lettre
φ  (un p « aspiré », qui n’existe pas
en français) par un f, prononciation qui s’est imposée plus tard, mais
qui a l’avantage de distinguer clairement
φ et π (mais nous ne faisons pas
entendre de différence entre
θ et τ, ni entre χ et κ).

Je comprends que pour l’hébreu biblique nous sommes
tributaires de la vocalisation massorétique et en particulier des distinctions
concernant les « begadkefat ». Mais pourquoi ne pas la respecter
aussi fidèlement que possible, en prononçant par exemple le waw comme le
w anglais, ce qui présente le double avantage de le distinguer du bet
fricatif, et de mieux comprendre la forme wou de la conjonction de
coordination devant les consonnes labiales ? Vous nous avez montré que
dans les manuscrits de Qumran on pouvait parfois apercevoir une confusion entre
ayin et aleph, ce qui prouve qu’à cette époque les deux consonnes
ne se distinguaient plus dans la prononciation. Ce type de confusion
existe-t-il entre waw et bet dans ces manuscrits ?

De même, prononcer ə un shewa mobile évite
une confusion avec tséré et ségol (que déjà nous ne distinguons
pas en général).

Il me semble (opinion d’un néophyte sans doute
présomptueux…) qu’à l’origine le
ש avait une
prononciation unique, une sorte de s un peu chuintant, entre s et
sh. Une telle consonne existe en népalais, sans équivalent dans nos
langues occidentales ; c’est ainsi que le nom d’un village népalais bien
connu des randonneurs est translittéré tantôt Syabrubesi, tantôt Shyabrubesi.
Dans le psaume 119, les versets commençant par
ש ne sont
visiblement pas rangés selon la prononciation massorétique distinguant s
et sh, ce qui peut montrer que cette distinction est postérieure à la
composition du psaume. Mais l’usage massorétique est effectivement aujourd’hui
incontournable.

C’est entendu, nous n’allons pas chercher à faire revivre
une hypothétique prononciation ancienne de l’hébreu biblique, dont on peut
d’ailleurs penser qu’elle a évolué selon les époques et selon les lieux, et que
de toute façon nos habitudes linguistiques auraient du mal à assimiler. Mais ne
pourrait-on pas chercher à éviter d’éventuelles confusions en respectant
quelques distinctions assez simples ?

Cordialement

 

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