Voici l’éditorial que j’ai publié dans Réforme le 2 février dernier.
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Je ne suis pas doué pour les langues. Avant mes études de théologie, j’avais appris l’allemand et l’anglais, quelques mots d’espagnol et de latin, le tout sans grande motivation. En revanche, j’étais frustré par mon ignorance des langues bibliques ; je collectionnais les versions françaises de la Bible, conscient qu’aucune n’était parfaite. Mes études de grec et d’hébreu bibliques furent une véritable révélation : je pouvais enfin lire la Bible dans le texte !
Le grec est un lointain cousin du français ; à son contact, je ressens à la fois familiarité et dépaysement. L’hébreu, lui, me fait basculer dans un autre monde : non seulement il s’écrit « à l’envers » – de droite à gauche – mais il fait partie d’une tout autre famille linguistique. Imaginez donc : les conjugaisons n’expriment ni le passé, ni le présent, ni le futur : la barrière de la langue dans toute sa splendeur.
Cette barrière, la Bible nous en conte l’origine (Genèse 11). Au commencement, les hommes parlaient tous la même langue. Ils pouvaient aisément communiquer et collaborer. Ils décidèrent de bâtir une tour atteignant les cieux – la célèbre tour de Babel. Dieu vit cette entreprise démesurée comme une menace. Il brouilla alors leur langue afin « qu’ils n’entendent plus chacun la langue de l’autre ». Les hommes se dispersèrent et leur projet tomba à l’eau.
Si la multiplicité des langues est une barrière, je la vois aussi comme une ouverture. Elle m’offre d’autres façons de penser le monde. Grâce à elle, je peux rencontrer l’autre dans son univers intellectuel. La langue est la porte d’entrée des civilisations. Langues et cultures sont indissociables, y compris sur le plan religieux. Ainsi la Bible et le Coran sont-ils nés au Proche-Orient ; leurs auteurs, parlant des langues sœurs – l’hébreu, l’araméen, l’arabe –, héritent et intègrent de nombreuses traditions qu’il faut « traduire », c’est-à-dire comprendre et transposer.
De plus, chaque auteur ayant sa propre langue, la linguistique met en évidence la multiplicité des rédacteurs de la Bible et du Coran. Difficile, dès lors, de voir en Moïse l’auteur unique de la Tora, ou en Muhammad celui du Coran, d’ériger en somme ces textes fondateurs en tours de Babel. D’ailleurs, la Bible ne nous propose-t-elle pas une alternative à Babel ? Le jour de la Pentecôte, remplis du souffle divin, les disciples de Jésus se mirent à parler miraculeusement d’autres langues (Actes 2). Où la polyphonie, guidée par l’Esprit saint, est un chemin vers le ciel.